MÉMOIRE DE L'UNIVERSITÉ DE TORONTO

Résumé

Le Canada est entré dans une nouvelle ère de restriction budgétaire. Le gouvernement fédéral a clairement indiqué que les dépenses devaient être étroitement gérées pour empêcher que le déficit ne devienne chronique. Plus que jamais, le Canada doit appliquer une optique stratégique à l’établissement des priorités afin d’assurer la santé et la prospérité des Canadiens à court et à long termes. Le Canada doit maintenir comme objectif d’obtenir le maximum de profit sur ses investissements.

Compte tenu de cette situation, il est important de souligner que le soutien du gouvernement fédéral aux universités se révèle très profitable. Ce rendement se révèle sous diverses formes, notamment des diplômés hautement qualifiés qui utilisent des connaissances et des compétences nouvelles pour relever les défis posés par l’économie mondiale changeante, de nouvelles entreprises dérivées et la propriété intellectuelle qui exploitent des créneaux négligés des secteurs traditionnels et les services fournis par les universités aux petites et grandes entreprises qui n’ont pas les moyens de s’offrir les experts dans des domaines spécialisés et l’infrastructure que l’on trouve dans les campus canadiens.

Ces avantages ont une importance critique pour l’avenir du Canada parce que ce sont eux qui permettront à notre pays de surmonter ce qui, d’après plusieurs rapports indépendants, constitue la plus grande menace à long terme posée à la qualité de vie des Canadiens, c’est-à-dire notre productivité déficiente. Le Canada doit mettre à contribution ses capacités en matière d’innovation et il doit cultiver les talents, les idées et les réseaux nécessaires à cette fin.

Le gouvernement fédéral a un rôle clé à jouer pour soutenir la reprise économique et créer des emplois de qualité et il doit pour cela appuyer le système d’innovation canadien. L’Université de Toronto recommande que, dans le budget de 2012, le gouvernement du Canada :

·         Maintienne le financement des conseils subventionnaires;

·         Réinvestisse dans la Fondation canadienne pour l’innovation;

·         Appuie pleinement les coûts institutionnels de la recherche.

Les perspectives du Canada

Le Canada a surmonté relativement bien le ralentissement économique mondial récent mais des défis à long terme se posent encore à nous. Comme indiqué par le Conseil des académies canadiennes, la productivité de la main-d’œuvre canadienne a diminué, passant de plus de 90 % du niveau américain en 1984 à 76 % en 2007. Les travailleurs canadiens produisent maintenant moins de richesse que leurs homologues américains. Cette trajectoire descendante signifie que le Canada est en train de devenir moins prospère, ce qui ne peut faire autrement qu’avoir des répercussions négatives sur la qualité de vie des Canadiens.

Conscient de cette menace à long terme, et compte tenu du rôle que le soutien fédéral à l’innovation jouera face à cette situation, le gouvernement du Canada a entrepris récemment un certain nombre d’initiatives pour contrer cette tendance. Mentionnons, entre autres, la création du Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation, le processus de consultation des Canadiens en vue de l’élaboration d’une stratégie sur l’économie numérique et la mise en branle, dans un cadre officiel, de l’Examen du soutien fédéral de la recherche-développement.

La quête de solutions est en grande partie axée sur le rendement décevant de l’industrie dans le domaine de la R et D. Les entreprises canadiennes n’investissent pas suffisamment dans la recherche ou dans de nouveaux équipements et le capital de risque à l’appui des entreprises en démarrage est rare. Ce sont là des défis importants qui méritent à juste titre l’attention exclusive du gouvernement. Par contre, le succès des travaux de recherche effectués dans les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada ne suscite pas autant l’attention.

Un rendement du capital investi remarquable

Tout porte à croire que les universités canadiennes sont en excellente position et qu’elles peuvent maintenant être considérées comme concurrentielles sur la scène internationale, grâce en grande partie aux investissements récents du gouvernement fédéral dans l’enseignement postsecondaire et l’innovation.

Le Programme d’infrastructure du savoir du gouvernement du Canada aura des répercussions durables dans les collèges et les universités du Canada. L’Université de Toronto a réalisé avec succès trois projets dans le cadre de ce programme, lesquels nous permettront de répondre à la demande en croissance rapide de locaux universitaires dans la région de Toronto. Par exemple, le nouveau centre d’enseignement de l’Université de Toronto à Scarborough permettra d’accroître de 25 % les locaux universitaires à ce campus, un bienfait énorme des plus avantageux pour la région de l’est de Toronto et les collectivités environnantes. De même, le centre d’enseignement de l’Université de Toronto à Mississauga permettra d’ajouter des locaux d’enseignement grandement nécessaires et le Centre for Innovation in the Canadian Mining Industry (centre d’innovation dans l’industrie minière canadienne) facilitera les liaisons entre l’université et l’un des plus importants secteurs du Canada.

Dans le cadre du programme des Chaires d’excellence en recherche du Canada, l’Université de Toronto a été en mesure d’attirer deux chefs de file internationaux dans les domaines de la biologie intégrative et de la neurobiologie structurale. La nomination des professeurs Fritz Roth et Oliver Ernst contribue de façon marquée à la réputation de Toronto en tant que centre de recherche biomédicale de très haut niveau en Amérique du Nord.  De plus, grâce aux Bourses d’études supérieures du Canada Vanier et aux nouvelles Bourses postdoctorales Banting, nous avons des incitatifs nouveaux exceptionnels afin d’attirer les meilleurs jeunes cerveaux pour trouver des solutions aux problèmes canadiens.

À de nombreux égards, les universités canadiennes à fort coefficient de recherche se classent parmi certains des établissements les plus prestigieux sur la scène mondiale. Par exemple, l’Université de Toronto et les hôpitaux de recherche associés à l’université sont à l’origine de la création de 24 sociétés entre 2005-2006 et 2007-2008, se classant ainsi au quatrième rang parmi les universités publiques en Amérique du Nord. De même, les chercheurs de l’UdT se classent au premier rang parmi les universités publiques nord-américaines pour ce qui est du nombre de publications et de citations, deux indicateurs clés de la productivité au niveau de la recherche.

Une autre indication que les investissements dans le réseau d’enseignement postsecondaire du Canada sont avantageux est l’augmentation du nombre de diplômes d’études supérieures décernés. Selon un rapport récent du Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation, les taux d’obtention de diplôme de deuxième et troisième cycles en sciences et dans les programmes de génie ont augmenté de façon marquée. Ainsi, entre 2005 et 2008, le nombre de diplômes de doctorat en génie a augmenté de 42,1 % et le nombre de doctorats en sciences s’est pour sa part accru de 63,7 %. Voilà de bonnes nouvelles pour le Canada lorsqu’on sait que plusieurs études déplorent qu’un nombre peu élevé de titulaires de diplômes d’études supérieures contribue à la médiocrité de la productivité du Canada.

Écosystème d’innovation réussi du Canada

Le Canada possède une solide collection de programmes de soutien à l’innovation dans ses universités. Mentionnons, entre autres, les conseils subventionnaires (les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH)) qui soutiennent les frais de fonctionnement et les salaires des étudiants chercheurs et la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) qui fournit les outils modernes dont les chercheurs ont besoin pour contribuer de façon significative aux sciences et à l’industrie. Ensemble, ces programmes et d’autres programmes créent un écosystème d’innovation dynamique dans le cadre duquel les chercheurs, les étudiants et les partenaires de l’industrie peuvent connaître la réussite.

Ces diverses voies de financement ont un effet cumulatif et il peut être difficile de déterminer avec exactitude à qui ou à quoi revient le mérite du succès. Le cas de Vincent Cheung, étudiant à l’UdT, illustre bien ce propos. Vincent, qui effectue actuellement des études de troisième cycle en génie informatique, a remporté récemment le prix étudiant entrepreneur de l’année 2010 (Global Graduate Student Entrepreneur of the Year), une compétition pour les étudiants universitaires qui suivent un programme complet d’études tout en exploitant une entreprise productive de recettes. Son produit informatique,  Shape Collage, a été téléchargé plus d’un million de fois et génère des revenus annuels dans les six chiffres.

L’Université de Toronto a la chance de le compter parmi ses étudiants mais ce n’est pas par chance que Vincent a choisi Toronto. Il a choisi l’UdT plutôt que Stanford University notamment parce qu’il pouvait travailler avec le professeur Brendan Frey, un chercheur de haut niveau qui maintient des relations solides avec les laboratoires industriels. M. Frey, pour sa part, est un excellent exemple de chercheur ayant réussi au Canada, ayant largement contribué au secteur des sciences et à l’industrie, grâce en grande partie au soutien du gouvernement fédéral. Ce titulaire  de chaire de recherche du Canada et ancien lauréat de la bourse commémorative E.W.R Steacie du CRSNG a fait des découvertes importantes dans divers domaines, depuis la bio-informatique jusqu’à la vision par ordinateur. Il doit sa réussite au laboratoire bien équipé auquel il a accès, lequel est financé par la Fondation canadienne pour l’innovation. La FCI offre également un excellent environnement de recherche dans lequel ses étudiants peuvent se préparer à devenir la prochaine génération d’innovateurs, prêts à occuper les postes hautement spécialisés de demain, ou même, comme c’est le cas de Vincent, à créer leur propre emploi.

L’esprit d’entreprenariat est aussi florissant dans le laboratoire de la professeure Cynthia Goh, chimiste accomplie spécialisée en instrumentation. Au Canada, Mme Goh compte parmi les plus ardents défenseurs du transfert des connaissances scientifiques dans les produits au profit du public canadien. Trois sociétés en démarrage ont été créées à partir d’inventions faites dans son laboratoire, soit Axela Biosensors, une entreprise en plein essor comptant 35 ETP qui vend du matériel d’analyse destiné aux chercheurs en santé dans les universités et les compagnies pharmaceutiques; Vive Nano, qui emploie 14 ETP qui développent actuellement une plateforme pour créer des nanoparticules pour un large éventail d’applications, y compris la protection des cultures; et Dalenyi Biosurfaces, dont le produit se révèle extrêmement utile pour les chercheurs en sciences de la vie oeuvrant dans divers domaines, depuis la recherche sur le cancer jusqu’à l’établissement de diagnostics.

Mme Goh considère son rôle d’éducatrice avec autant que sérieux que son rôle d’inventrice. En 2004, elle a élaboré le cours Entreprenariat 101, qui est devenu la principale série de conférences de formation à l’intention des entrepreneurs présentée à Toronto et qui est maintenant offert à des milliers d’intéressés chez MaRS Discovery District. De plus, elle a organisé récemment Techno 2010 et Techno 2011, des programmes intensifs de formation offerts en été à l’intention des scientifiques désireux de mettre sur pied des entreprises axées sur les technologies. Les premiers résultats sont prometteurs : les participants au premier cours dispensé en 2010 ont déjà créé dix nouvelles sociétés, dont Dalenyi Biosurfaces mentionnée ci-dessus.

La réussite de Mme Goh est profondément enracinée dans la qualité de ses travaux qui progressent dans un environnement de recherche positif grâce à plusieurs chaînes de financement gouvernemental, y compris notamment le CNRSG et les ressources partagées du FCI. De plus en plus, son programme de recherche est financé par le truchement de partenariats industriels avec ses entreprises en démarrage, un cercle vertueux grâce auquel son programme de recherche se révèle de plus en plus financièrement autonome.

Recommandations

Les réussites rendues possibles grâce aux professeurs Frey et Goh ne sont que deux parmi les centaines d’exemples similaires observés dans divers établissements partout au Canada.  Le Canada a mis en place un système d’innovation très efficace dans les campus universitaires. Cependant, nous continuons de faire face à une forte concurrence sur la scène internationale, non seulement de la part des chefs de file traditionnels en R et D aux États-Unis et en Europe mais aussi de la part d’économies émergentes comme la Chine, l’Inde et le Brésil qui investissent plus que jamais dans l’innovation.

Les universités canadiennes seront un élément essentiel du processus suivi par l’État pour soutenir le rétablissement économique du Canada et créer des emplois de qualité. Le système d’innovation canadien a atteint une bonne vitesse mais il ralentira bientôt sans l’aide du gouvernement fédéral pour l’alimenter.

Les conseils subventionnaires

Les conseils subventionnaires (IRSC, CNRSG et CRSH) sont la source de vie de la recherche universitaire. Ils permettent aux laboratoires canadiens de continuer à fonctionner en appuyant les activités courantes, en fournissant la base solide sur laquelle le progrès se construit. Une énorme proportion des subventions accordées sert à soutenir les possibilités d’apprentissage et de recherche des étudiants diplômés et des boursiers de recherches postdoctorales, y compris les nombreux programmes non liés au personnel comme le programme phare de subventions à la découverte du CNRSG. Par exemple, en 2006-2007, les chercheurs établis bénéficiaires d’une subvention à la découverte ont consacré de 43 à 48 % de leurs fonds au salaire des étudiants et des boursiers. Grâce à ces subventions, des jeunes de valeur travaillent avec leurs professeurs dans les laboratoires, se consacrent à des problèmes réels et font leurs propres découvertes, contribuant ainsi aux capacités du Canada en matière d’innovation.

Parmi tous les investissements fédéraux dans la recherche universitaire, les conseils subventionnaires réunis constituent la clé de voûte qui soutient la réussite dans tout le système. Nous sommes grandement reconnaissants des nouveaux investissements dans les conseils subventionnaires accordés dans les budgets récents et nous invitons instamment le gouvernement à continuer sur cette voie.

Fondation canadienne pour l’innovation

Comme nous espérons l’avoir démontré, le soutien à la recherche accordé par le gouvernement fédéral a un effet cumulatif et entraîne la création d’un écosystème complet dans lequel les chercheurs évoluent avec succès. À l’Université de Toronto, nous sommes reconnaissants de la hausse du financement accordé aux conseils subventionnaires dans les budgets récents mais nous sommes préoccupés par l’avenir incertain du soutien à la Fondation canadienne pour l’innovation.

De 2005-2006 à 2010-2011, les allocations à l’infrastructure de la FCI représentaient environ 19 % du financement des conseils subventionnaires. Entre 2010-2011 et 2013-2014, on prévoit que ce pourcentage tombera à 6 % (ce chiffre n’inclut pas les initiatives scientifiques majeures qui, compte tenu de leur nature, seront très inégalement réparties entre les universités). C’est tout le contraire de ce qui se fait ailleurs. Ainsi, aux États-Unis, environ 24 % du budget de la National Science Foundation est consacré à l’infrastructure de recherche.

Grâce à la FCI, les nouveaux chercheurs peuvent équiper leurs laboratoires et les chercheurs établis demeurent productifs. La fondation fournit des installations qui sont utilisées par des équipes entières de scientifiques canadiens pour atteindre des niveaux concurrentiels sur la scène internationale et qui incitent des entreprises à devenir des collaborateurs. Sans de nouveaux investissements dans une infrastructure appropriée, de nombreux chercheurs n’auront d’autre choix que d’aller là où se trouvent les outils nécessaires. Nous recommandons que le budget de 2012 prévoie un réinvestissement dans la FCI à hauteur de 15 % du financement des conseils subventionnaires.

Coûts institutionnels de la recherche

Les universités font plus que de fournir un endroit où les recherches sont effectuées. Elles supervisent l’administration des projets et la reddition de comptes, assurent l’observation des règlements et la sécurité, aident à la gestion de la propriété intellectuelle et à la commercialisation et fournissent aux chercheurs des installations et des réseaux informatiques à la fine pointe. Ces coûts institutionnels, aussi couramment appelés coûts indirects, représentent environ 52 % des coûts directs de la recherche. Pour chaque dollar consacré à la recherche, l’université doit dépenser 52 cents additionnels pour appuyer la recherche en question. Actuellement, le taux de remboursement moyen des conseils subventionnaires fédéraux pour chaque subvention par le truchement du Programme des coûts indirects est d’environ 22 %. Dans les grands établissements, comme l’UdT, ce montant est encore moins élevé. Ainsi, l’Université de Toronto ne reçoit qu’environ 18 cents pour chaque dollar. Il en résulte une insuffisance chronique, ce qui oblige l’université à puiser à même son propre budget de fonctionnement – c.-à-d. les droits de scolarité et les subventions provinciales à l’éducation – pour essentiellement subventionner la recherche bénéficiaire d’une aide fédérale. La recherche est essentielle à l’accroissement de la prospérité du Canada mais la poursuite de cet objectif ne devrait pas se faire aux dépens des étudiants. Nous recommandons que le budget de 2012 fasse disparaître ce compromis inutile en soutenant la totalité des coûts institutionnels de la recherche.

Conclusion

Malgré le déficit projeté et les problèmes constants au niveau de la compétitivité et de la productivité du Canada, il existe de nombreuses raisons d’être optimiste. Les quelques dernières années ont montré que le Canada jouissait d’une résilience enviable.

Notre prospérité future dépendra du développement de l’ensemble du système d’innovation canadien, notamment sur le plan des investissements et de la R et D dirigés par des entreprises. Cependant, les universités canadiennes demeureront une pièce essentielle du puzzle de l’innovation. Le soutien fédéral à la recherche universitaire se révèle avantageux au niveau des personnes, des partenariats et des connaissances qui, collectivement, conduiront à des solutions à long terme.